Traverser les traces

– – Exercice d’écriture automatique – –

Traverser les lieux avec ces influx et efflux sur le dos, la peau, le long des os. Dire que le corps, individu qui marche, n’a pas de limites précises, emmène avec lui tout ce qui le traverse, une gamme de possibles pianotée le long des os. Ce récit ne peut pas avoir de contours exacts, puisque le couloir est ouvert aux deux bouts aux quatre vents et que cela file en douce, tout le temps. Sur le quai les porte-conteneurs forment d’immenses immeubles aveugles emplis de paquets hétéroclites pour nourrir les vies étriquées de milles lieux humains, répondre à quelques-uns de leurs besoins. Un agenda, un cartable neuf, une petite culotte en coton bio. Dans le sable de la berge, un épi de queue de lièvre oscille sous le souffle délicat de l’onde ignorante.

Retracer le parcours de ces linéaments infimes, énormes, infâmes, ou étranges du moins. Étrangers à la substance première. Depuis longtemps, cette substance s’hybride à tout ce qui lui passe à portée. Empilements et compositions de toutes sortes de choses et de débris.

Chaque être laisse une trace. Une signature. Calligraphie. Un trait de pinceau. C’est tout. Un geste, presque rien. Faire le tri. Dans les accessoires. L’habillage. L’encombrement massif. Tous les messages qui s’ajoutent et s’écrivent et s’empilent à la surface des choses. Parmi ces traces il y a celles qui me marquent plus fortement, qui m’atteignent.

Alors c’est comme fendre l’air en moins de trois minutes avant d’atterrir plus loin le cerveau plat, le ventre cru, les épaules densifiées. Celles qui m’activent. Des êtres qui passent et m’électrisent. Ce qui s’ouvre, et laisse circuler la sève des échanges. Porosité partagée. Laisser voir quelque chose, se fondre dans le moment. Laisser l’élan se faire.

C’est donc un récit où il est question d’une chose charnelle, car ce sont bien nos silhouettes qui se déforment et celles des arbres arrachés qui chutent, réduites en bouillie, celles des enfants d’un monde auxquels la sérénité est interdite, car l’autre le voisin le plus puissant celui qui veut installer sa maison par dessus la leur les bombarde, asphyxie la vermine, celles des baleines qui s’échouent. Quelque chose se brise, l’objet d’un amour tombe en morceaux. Il y a cette colère venue du fond du ventre contre ceux qui, ce qui, brutalement détruisent cette vie, là, la défont. Une mouche écrasée sur une joue. Au départ il y a cette sensation terrible, à écouter absolument. Ce ventre qui se tord, ces hoquets. il y a ces silhouettes qui puissamment résistent, se dressent, tissent des liens. Puis cette impérieuse nécessité d’aspirer, de souffler. La peau sèche, monade, rêve d’un bain dans un autre corps, celui d’une rivière, son lit, pouvoir entièrement s’immerger là, abandonner le contact instable de l’air…